Los Angeles-San Francisco, Vol #1504

Dans l’avion, je m’échappe toujours dans une nouvelle dimension. Quelques minutes après le décollage suffisent. Quelques mètres au-dessus du sol et déjà je m’évade. Plus les maisons s’effacent, plus mon imaginaire attrape mes pensées. Quand les nuages deviennent ligne d’horizon, mon centre de gravité flotte déjà loin, très loin. Il ondule sur les courbes panachées de mon esprit. Dans ses contrées intimes parfois reculées. Inexplorées. Oubliées. Sans jamais savoir où la déambulation mènera, ce qu’elle sera…

Dans l’avion, je joue à une vie que je n’ai pas. Tout est permis. Le terrain de jeu, sans limite. Je suis créatrice et en quelques clignements de paupières, je change tout. J’ajoute ou retire des couleurs, des matières, j’insuffle des mots, une énergie, un mouvement. J’invente des rencontres, des personnages, des histoires. Je change l’histoire et trace des futurs. Je me lance dans l’écriture d’un roman, je réalise un long-métrage, j’ouvre un lieu d’accueil, une fondation… je me laisse aller aux délires les plus inavouables. Mon voyage éclate toutes les frontières de la carlingue et de la raison.

Dans l’avion, je pense aux absents. Je vois mon père pavaner dans les rues du Castro à San Francisco. Je ris, la larme à l’œil. Je vois Paul aux côtés d’Ava et de Raphaël, sa sœur et son frère. Je souris, les larmes aux joues. Je parle avec ceux qui me manquent. Ceux qui ont déserté, qui sont ailleurs, que je connais mal. Ceux qui ont traversé ma vie et l’ont marquée. Parfois sans qu’ils le sachent. Je rattrape le temps. Je fais différent. Autrement. Et je ressens chacune des versions.

Dans l’avion, les sensations surgissent sans prévenir. Les odeurs de mimosa du Sud de la France, le caramel vanillé de la peau de nouveau-né, la caresse d’une main aimante, le goût du roudoudou de mon enfance, le baiser d’une amie d’école primaire, l’acidité d’un drame dans la gorge, l’ennui d’un dimanche, le regard bienveillant d’un amoureux… Ces souvenirs me transpercent le temps d’une fulgurance. Ces émotions me bouleversent le temps d’une d’errance. Instants suspendus et précieux. Rares. Ils contiennent la chair de ma vie et dans l’avion, je les accueille sans rien faire d’autre. Je les éprouve. Sans rien faire d’autre.

Dans l’avion, quand l’écho lointain d’une voix souvent nasillarde me rappelle à la réalité, ces sentiments s’évaporent. Les songes s’évanouissent. La descente avant l’atterrissage. Je me redresse, je souffle et pose mon regard sur ce qui m’entoure vraiment. J’observe par le hublot. Je reconnecte. Les maisons grossissent, mon imaginaire s’apaise et prend peu à peu appui sur les paysages qui se rapprochent. Je descends de mon nuage et m’accroche à ceux du ciel. Mes rencontres fictives et mes rêveries s’éloignent mais je les sens encore. Quand le choc du tarmac m’expédie dans le présent, je suis pourtant là où je dois être. Mais différente, comme après un long et saisissant voyage.

Dans l’avion, ma pensée n’a plus d’obstacle, elle prend toute la place. Ma mémoire n’a plus de retenues, elle lâche les brides. Et moi ? Je les laisse devenir maîtres. Je relâche. Je laisse mon esprit faire cavalier seul durant un trajet d’une heure ou plus… C’est ainsi que mon inspiration s’exprime et que nombre d’idées ont pris racine. Juste comme ça, lors d’un voyage en avion.

Encore quelques vols et mon roman devrait prendre une tournure de plus en plus réelle…