En juin 2016, un email du groupe de parents Park Slope Parents atterrit dans ma boite email et attire mon attention. Il s’agit d’une invitation à un groupe de parole composé de femmes expatriées francophones et animé bénévolement par Delphine Bauchot-Safaee, une française récemment installée à Brooklyn. Le concept m’intéresse mais éventuellement pour plus tard. Chemin faisant, nous nous croisons quelques mois plus tard à l’école de nos enfants, l’occasion d’en apprendre plus sur son parcours et sur ce groupe.

C’est ainsi que Delphine m’a récemment accueillie chez elle pour réaliser cette interview, un entretien rythmé par sa voix douce et posée, par la justesse de ses mots et par son émotion à peine contenue au moment d’évoquer le groupe soudé et solidaire de femmes qu’elle a réunies. J’apprends alors qu’en matière de groupes, elle s’y connaît, puisqu’elle pratique la Gestalt-thérapie et les groupes de paroles depuis 15 ans et qu’elle est en cours de formation pour devenir Gestalt-thérapeute. Cette forme de thérapie, fondée sur la relation à l’autre et sur le lien entre une personne et son entourage, lui a été salvatrice. Issue d’un milieu élitiste, scientifique et cartésien, Delphine a évolué au sein d’un environnement où les émotions s’exprimaient rarement. La Gestalt-thérapie lui a permis de découvrir le monde de l’humain et, par là-même, de se découvrir.

Expatriée elle-même, elle sait à quel point vivre à l’étranger constitue une expérience enrichissante et incroyable mais qui peut aussi s’avérer être une épreuve pour la famille et le couple. S’éloigner de ses proches, quitter son activité professionnelle, devenir le roc sur lequel mari et enfants peuvent se reposer et s’adosser : la femme expatriée doit faire face à de multiples questionnements et remises en cause. Créer un espace de parole pour ces femmes afin qu’elles partagent leurs difficultés et apprennent les unes des autres prend alors tout son sens. Voici une démarche utile qui, je l’espère, inspirera d’autres thérapeutes à développer des groupes similaires !

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Delphine partage avec sincérité et bienveillance l’histoire de ce groupe de femmes, de cette belle et émouvante aventure humaine. Interview :

D’où est venue l’idée de créer un groupe de parole de femmes expatriées ?
Au cours de ma propre thérapie, le groupe m’a beaucoup aidé. J’ai ainsi consacré mon mémoire de fin de formation à ce sujet et j’ai eu comme projet de créer un groupe en tant que Gestalt-thérapeute. À mon arrivée à New York – ma troisième expatriation mais cette fois-ci avec enfants – j’ai réalisé que le lien social se construit non seulement à travers le travail mais également par le biais de l’école, en côtoyant d’autres mamans. J’ai, à cette occasion, observé l’existence d’un lien et d’une entraide entre femmes. De là est née la volonté de comprendre la dynamique de soutien féminin en contexte d’expatriation. Il existe des réunions de type « café », des livres ou des sites Internet de coaching traitant de l’aspect organisationnel d’une installation à l’étranger, mais rien sur le soutien émotionnel des femmes expatriées. L’idée de créer et d’animer bénévolement un groupe de femmes est ainsi née au printemps 2016 avec la publication d’une annonce par l’intermédiaire du site Park Slope Parents. En moins de 2 heures, j’ai reçu plus de demandes que de places disponibles. Le groupe était formé !

Comment se compose ce groupe de parole ? 
Il est composé de 6 femmes francophones qui ont la particularité de toutes venir « d’ailleurs ». Leurs profils sont variés et représentatifs de la société : elles sont de différentes cultures ; travaillent ou pas ; sont immigrées aux États-Unis depuis 10 ans ou fraîchement arrivées ; elles en sont à leur première ou à leur quatrième expatriation. Ce mélange des genres est une réelle richesse car chacune d’entre elles apporte une vision et une expérience différente.

Y a-t-il un cadre de fonctionnement précis ?
Il convient de poser des règles afin d’instituer des relations saines et justes et créer un contexte de sécurité et de confiance entre les participants. 1/ Règle de confidentialité : tout ce qui se passe dans le groupe reste dans le groupe  2/ Règle d’engagement : être ponctuel, assister régulièrement aux séances, annoncer son départ du groupe à l’avance afin de le préparer  3/ Liberté, expression, respect, écoute : écouter sans juger, être présent à l’autre et parler en son nom propre. J’ai pour mission d’animer le groupe, soutenir le partage et le mouvement et m’assurer que tout le monde prenne la parole. En outre, j’adopte une posture propre à celle du Gestalt-thérapeute, basée sur la phénoménologie : j’accueille une personne, une situation de façon inconditionnelle, sans jugement. Pour moi, c’est une philosophie de vie : la curiosité bienveillante et l’acceptation de la différence permettent de se remettre en question et de se construire.

Concrètement, à quoi ressemble une séance ? 
Le groupe se réunit en moyenne pendant 3 heures, un vendredi soir toutes les 3 semaines. J’ai voulu créer une atmosphère de convivialité, c’est pourquoi nos séances commencent toujours par une discussion d’une demi-heure autour d’un repas. Chacune prend le soin d’apporter un petit plat fait maison, une bouteille, une bonne baguette de pain ou un fromage déniché chez un traiteur. C’est un moment très festif, un plaisir partagé. Puis vient le moment du regroupement : la session commence par un « point météo » qui consiste à savoir où chacune en est. Si l’une d’entre elles a besoin de soutien, elle expose alors sa situation au groupe. Par la suite, la parole circule librement en fonction des thématiques importantes du jour, du moment présent. Je mets parfois en place des petits ateliers, exercices qui permettent de sortir de l’expression orale en passant par un autre moyen d’expression tel que le dessin.

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Le thème de l’expatriation est-il au cœur des discussions ?
Le groupe aborde la vie à l’étranger au travers de thèmes tels que la perte ou le changement d’activité professionnelle, la perte des soutiens familiaux et amicaux, le statut de la femme en tant que pilier maternel et psychologique etc. Mais l’expatriation n’est pas un sujet en soi. Nous traitons de thématiques liées à la vie quotidienne, telles que les enfants ou le couple, mais qui sont vécues de façon plus intense et brutale du fait du déracinement.

En quoi le groupe de parole peut-il aider les participantes ? 
Elles y trouvent une bonne dose de soutien. Elles s’encouragent mutuellement dans leurs projets respectifs et se poussent à aller de l’avant. On recrée un placenta social et un attachement suffisant pour véhiculer un sentiment de sécurité qui leur permet d’exprimer leurs difficultés, être soutenues et repartir en bataille après. Chacune a en elle une incroyable vitalité et énergie qui sont mises en mouvement grâce au groupe.

Comment ces femmes vivent-elles cette expérience ?
Ce groupe a tissé des liens très forts dès la première séance (certains groupes peuvent mettre plusieurs mois à démarrer). C’était une évidence ! Preuve qu’il y avait un réel besoin de soutien, de parole et d’échanges. L’une de ces femmes m’a récemment confiée que cet espace représente pour elle « une entraide, un respect, un soutien, une écoute, une compréhension, une diversité, un plaisir de partager, des rires, des peines, des discussions nuancées et des amitiés qui se dessinent ». Une autre décrit cette démarche comme « une bouée de sauvetage et un espace de sécurité » qui lui permet de « baisser la garde, tomber le masque et pleurer, rire mais surtout se faire du bien ». Le groupe leur permet de partager leurs expériences, se remettre en question et, comme l’explique une participante, de « se redécouvrir et connaître ses limites ».

Quel message souhaites-tu faire passer aux expatrié(e)s et futurs expatrié(e)s ?
L’expatriation, c’est un voyage dans l’humain. Découvrir un nouveau pays, découvrir l’autre dans toute sa différence, c’est aussi se découvrir soi-même, remettre en question ses propres croyances et « s’apprendre ». Quel que soit le nombre d’expatriations que l’on a à son actif, on se retrouve à chaque fois au point zéro. Il faut savoir faire confiance au processus d’adaptation qui est parfois long et sinueux. Les difficultés rencontrées doivent être perçues comme des expériences qui apportent une force de vie et enseignent la résilience. Il est important de savoir prendre du recul, d’observer le chemin parcouru et ses réalisations, si petites et simples soient-elles. Et surtout, il faut se féliciter : WAOUH, j’ai accompli tout cela !