Le virus Covid-19 a eu chez nous l’effet d’une tornade. Il a tout retourné sur son passage. Repères éclatés, humeurs déchaînées, envies contrariées… J’ai eu l’impression d’être coincée dans un ascenseur émotionnel. Et je ne devrais pas parler au passé car on en est encore là ! Ça monte et ça descend sans cesse. Le quotidien est en fait complètement chamboulé. Pas de routine. Pas un jour qui ressemble à la veille. Parce que vivre 24 heures sur 24 à quatre, avec un « petit » de 6 ans et une « grande » de 9 ans, n’offre pas de constance. Parce qu’il y a quatre fois plus de sentiments à gérer. De désirs et d’emplois du temps différents. De contraintes, de tensions, mais aussi de bisous, d’amour et de folie(s)…

On apprend donc à naviguer dans l’inconnu, à manier des inquiétudes exacerbées et à manipuler des équations inédites. On évolue sur un spectre de vie nouveau. Avec du bon et du moins bon. Pour le meilleur et pour le pire. Sans répit. De ces journées renouvelées, toujours uniques, on expérimente, on cherche, on tâtonne… On essaie de s’écouter du mieux possible, de se respecter, de rester bienveillant. Il s’agit de s’ajuster à l’autre, aux Autres, et de s’adapter. En fonction de ses possibilités, de sa configuration personnelle, des règles locales, de son boulot ou même de la météo ! Un véritable travail d’équilibriste et de jongleur à la fois.

Oui, parce que le temps ne s’est pas arrêté et les contraintes non plus… Aux US, pas de congés « gardes d’enfants » avec maintien de salaire. Si tu veux payer ta maison, il faut assurer ton travail et ainsi télé-travailler (si ton entreprise ne t’a pas viré). En parallèle, si tu veux que tes enfants ne décrochent pas, il faut faire l’école à la maison et les occuper un minimum (là aussi selon les âges et les spécificités de chacun). Bon et puis évidemment, il faut manger donc cuisiner et partir en expédition courses… Tout le monde est passé par là. Tout le monde a enfilé tous les rôles en même temps. Tout le monde a vu son temps se remplir autrement. Ce temps si précieux, cette denrée devenue rare par chez nous depuis que l’école a fermé. Que le rythme s’est transformé. Ajoutons à cela quelques incertitudes administratives liées à ma demande de VISA ou à la démarche de Green Card et le stress est monté sérieusement.

Avec le confinement, on s’est retrouvés face à nos angoisses et on s’est confrontés à nous-mêmes. Les doutes existants ont pris une autre saveur et on a pu (re)découvrir nos limites. Chacun a fait avec les moyens du bord pour supporter la précarité de la situation, la privation, les injonctions. Pas un seul cas qui ne soit identique. Certains se sont mis à cuisiner pour se calmer, à écrire pour se soulager, à courir pour se décharger, à pleurer pour extérioriser, à chanter pour s’apaiser, à boire pour oublier, à manger pour se réconforter…

Au début, nous, on a essayé de s’appliquer. Comme des élèves en attente de bons points. Comme si, pour réussir son confinement, il fallait cocher certaines cases : pratiquer une activité physique régulière avec yoga intégré pour la sérénité, cuisiner équilibré avec pain maison en bonus, travailler comme d’habitude version calls et e-réunions dans le salon, en enchaînant les fractions et les leçons d’histoire en même temps, maintenir une maison ordonnée, limiter le temps d’écran des enfants tout en leur calant des discussions virtuelles avec leurs amis, faire des apéros-zooms, des fêtes de voisinage à distance… Le tout avec sourire, s’il-vous-plaît. On a pensé assurer. Grosse erreur. Le sourire est vite retombé. On a éclaté en vol.

Alors on a revu notre copie. On a accepté l’idée de ne pas pouvoir tout gérer, de ne rien contrôler. On a accepté que ces règles dictées par je ne sais-qui, véhiculées par une société bien-pensante ne nous convenaient pas. Il nous a fallu choisir nos combats. Je n’ai pas encore le don d’ubiquité et j’ai donc revu toutes les attentes à la baisse. Peut-être la meilleure décision prise depuis un bail. Là encore, je ne suis pas la seule à avoir emprunté ce virage, chacun faisant des sacrifices en fonction de ce qui lui paraît essentiel.

De mon côté, la condition indispensable à ma survie mentale : trouver 1 heure à 2 heures juste pour moi. Pour travailler en silence bien souvent, mais aussi pour décompresser. Car si je ne décompresse pas, j’explose. Et la famille subit, forcément. Or, je crois que c’est la leçon principale de ces deux mois confinés tous les quatre : le bien-être de ma petite famille d’abord ! Surtout dans un contexte d’expatriation, surtout quand le seul retour en France de l’année – moment de félicité et de retrouvailles si attendu – est annulé.  Mon noyau familial a besoin de se sentir soudé. Uni. Apaisé. Du moins, autant que possible dans ces circonstances. Et ça passe par le bien-être individuel de chacun d’entre nous.

Alors les doubles journées, stop ! La pression ressentie pour parvenir à tout boucler… non merci ! Certaines enquêtes et piges attendront ou ne se feront pas. C’est sûrement l’un des avantages d’être freelance, j’ai cette flexibilité. Si les sorties des livres prévus (celui sur la ménopause et le syndrome du nid vide en France ou celui sur la tétine aux US) sont décalés, j’ai choisi de reporter aussi ce qui n’est pas urgent. J’ai perdu du travail dans la bataille bien sûr, j’ai remis à plus tard certains projets d’écriture qui me tenaient à cœur, mais c’est comme ça. Ça ne me fait pas plaisir, mais à moment historique, réaction exceptionnelle… Piano, piano… Prendre ce temps pour revoir quelques priorités s’est imposé.

De la même manière, si on n’a pas terminé les devoirs des enfants, tant pis. À quoi bon se battre quand ils n’ont pas envie ? Quand ce n’est pas le moment pour eux. Ils gèrent déjà leurs questionnements, leurs manques, leur tristesse de ne pas rentrer  cet été, alors est-ce bien utile d’en rajouter ? J’ai décidé que non… J’ai lu nombre d’articles invitant d’ailleurs à apprendre à sa progéniture des valeurs, des compétences utiles du quotidien, plutôt que des leçons scolaires. Ça m’a un peu décomplexée. Et puis merde, on fait comme on peut ! Comme on veut aussi. Je crois que c’est ça qui compte, que chacun puisse s’aligner avec ses propres besoins, ses propres envies. Et dans chaque famille, c’est une combinaison unique. Il m’aura fallu des semaines pour être capable de le formuler. De l’assumer.

Si je voulais que mes enfants retiennent quelque chose de tout ça, ce serait que lorsque le monde a tourné de travers, on a cherché à ce que notre monde intérieur ne s’écroule pas. Malgré les difficultés. Que l’on a réfléchi à comment le soulager. L’aider. L’encourager. Que l’on a imaginé des solutions pour rebondir. Que l’on a parfois pleuré, mais que l’on a n’a jamais baissé les bras. Je voudrais qu’ils aient compris la patience et la persévérance. La résilience et la solidarité. S’ils intègrent ces aptitudes à titre individuel, ils seront en mesure de les appliquer au plan collectif. Notamment pour défendre une planète qui en a bien besoin…

Aujourd’hui, l’emploi du temps n’a plus le pouvoir absolu à la maison. On essaie juste de mieux respecter les rythmes de chacun. On a repensé le partage des tâches. Moins de rigueur. Plus d’écoute et de souplesse pour rester fexible face aux humeurs et imprévus qui, malgré le confinement, font toujours partie des journées ! Les responsabilités sont mieux partagées avec Monsieur et tout le monde met la main à la patte. Ça a du bon ! Aujourd’hui, j’exprime sans culpabilité mes besoins et les enfants – qui eux, n’ont pas attendu le confinement pour le faire – prennent davantage en compte nos susceptibilités… Un vrai mieux ! Du positif ressort donc de ce marasme et prend même le pas sur le choc et la morosité des débuts.

Dans la Baie de San Francisco, nous sommes confinés jusqu’au 31 mai, avec possibilité de prolongation. Pas d’école avant la rentrée des classes prochaine et elle s’annonce déjà délicate… Qui peut prédire comment cela évoluera ? Ce qu’il se passera demain, le mois prochain ou à la fin de l’année ? Qui sait ? Je prends donc la décision – très difficile pour ma personnalité à tendance control-freak – de lâcher prise. Au moins un peu.

Les conséquences du passage destructeur de cette tornade n’en sont qu’à leurs prémices. Mais comme après toute tempête, vient le temps de la reconstruction… Tout ce que j’espère, alors même que la France reprend le chemin de la mobilité, c’est que nous garderons ces moments inédits en tête pour ne pas faire « comme avant ». Pour réfléchir à nos modèles économiques, à nos manières de consommer, de faire de la politique. J’espère très sincèrement que des consciences vont s’élever et que nous ne repartirons pas comme des moutons de Panurge dans une vie qui nous conduira à reproduire ce qui nous a mené à cette situation.

D’ici là, parce que nous avons envie de cultiver l’espoir et de diffuser autant d’ondes positives que possible, Ava, Raphaël, Jérémie et moi avons repris un tube de Bobby McFerrin. Un titre enregistré dans un studio de Berkeley, notre ville d’adoption. On a réécrit des paroles en mode Covid-19 et on a mis tout notre coeur à chanter ce mantra : « Don’t Worry, Be Happy ».