La première fois que je suis allée au sport sur le campus de la fac de Berkeley, j’ai raté le cours auquel je voulais assister. En faute : un locker, comprenez, un cadenas pour fermer les casiers du vestiaire. Je m’explique. Une fois ma carte de membre scannée, une jeune américaine à l’entrée de la salle m’a demandé si je souhaitais a « towel » et a « locker ». J’ai dit oui aux deux, l’air assuré et rassurée par cet accueil charmant surtout qu’évidemment, je n’avais pas du tout pensé à prendre ni serviette ni cadenas… Bref, mon « locker » en main et ma towel sur l’épaule, j’ai pénétré les vestiaires avec un certain sentiment de satisfaction. Reprise du sport depuis des années et moment solo en pleine matinée, une denrée rare en ces temps de maternage, que du bonheur ! Jusque là, je me sens en maîtrise. J’ai tout compris, me suis faite comprendre et suis arrivée jusque là sans fausse note. Je ressens une certaine puissance. J’éprouve de la fierté. Et je savoure. Lorsqu’arrive l’ultime rencontre avec le fameux locker !

Je le regarde, je le touche. Il ne m’inspire pas. Il me paraît vieillot, il est gros, tout moite et comporte plus de 35 marques, représentant des chiffres, un peu comme une horloge marquant toutes les minutes. En France, j’ai déjà utilisé des cadenas à codes avec succès, pas de raisons qu’un américain me résiste. Je me lance. J’inspire, me concentre et lis le message inscrit sur le petit papillon en plastique accroché au cadenas : 3 turns to 10, left past 10 to 36 right to 26. Ok. J’applique la combinaison. Mais ce locker semble vicieux… Après 5 ou 6 tentatives, rien. Il est juste de plus en plus moite, tout aussi fermé et moi je commence à transpirer. Je relis et relis la combinaison. Je compte. Je me mets à parler à voix haute, sent le rouge me monter aux joues, feins quelques sourires quand je sens du passage mais dans mon for intérieur la patience me quitte. Putain, mais qui ne sait pas ouvrir un cadenas avec une combinaison écrite noire sur blanc ? Je recommence et recommence. Les minutes passent, toujours rien ne se passe. Le locker me met clairement au défi, je ne veux rien lâcher. Sauf que ça fait 10 minutes que je m’acharne, que je ne suis pas changée et que mon cours de yogalates va commencer… Je dois l’admettre, je ne comprends pas. Locker 1- Charlotte 0. C’est sans appel.

Locker - cadenas

Ma toute puissance et ma fierté redescendues au niveau des tongs, je finis par demander de l’aide à une voisine qui sort de la douche. Elle est nue mais on est à Berkeley, ce n’est pas un problème de causer dans sa plus stricte intimité ! C’est une dame d’une cinquantaine d’année, petite et pleine d’énergie. Je lui explique mon désarroi face au locker mais avant de me donner la moindre réponse, elle me dit : « vous venez d’où ? J’aime votre accent ! » Et quand ici tu annonces que tu es français, tu sais qu’on t’aime déjà et que ça engage une nouvelle conversation qui d’avance sera trop longue… Moi, je suis juste obsédée par le locker là. Elle, elle rit devant mon ignorance ! Elle me prend le locker des mains tout en me racontant sa vie puis s’interrompt pour affirmer que c’est une des premières choses que l’on expérimente en venant ici : le locker. Ah… je me sens moins seule, c’est déjà ça. Elle se pose sur un banc et fait la combinaison à la vitesse de la lumière. On sent l’habituée. Sauf que ce cadenas est vraiment vicieux. Elle n’y parvient pas mieux. Alors elle me raconte sa vie, prend ses lunettes, vérifie les chiffres, évoque sa carrière de prof d’histoire russe à la fac, la chance de venir faire du sport ici… Elle est vraiment sympathique Edith mais le temps tourne en même temps que les tours de cadenas. 10h00, mon cours de sport a commencé. Too bad. C’est loupé. Alors j’écoute Edith plus patiemment jusqu’à ce qu’un petit déclic se fasse enfin entendre. C’est lui. Le locker. Je suis comblée. Mais coup de théâtre, ma sauveuse, le referme aussi sec ! « Pour que j’apprenne ». Elle me donne des conseils : tourner vite. Penser au second tour à toujours dépasser le chiffre du premier tour. Bien respecter la gauche puis la droite et surtout avant de commencer, faire au minimum trois tours dans le vide. Et surtout forcer un peu à la fin car « parfois ça marche juste comme ça ». Ca ne s’invente pas ! Elle éclate de rire et me dit qu’en quelques séances je n’aurai plus besoin d’aide et soutiendrai les nouvelles. Sympa Edith je vous dis ! J’ai donc réitéré avec elle et transformé l’essai. Charlotte 1-Locker 1.

Mon retour au sport n’a donc pas commencé par un cours de yogalates mais par un combat avec un cadenas. Aujourd’hui, quand je prends des lockers, que je les manipule, je pense à Edith, aux trois tours avant de commencer et à y aller franco. Je n’ai plus jamais rencontré de résistance, j’améliore mon temps à l’ouverture et en 3 mois, j’ai déjà aidé deux étudiantes et une retraitée sur les infrastructures du campus ! Charlotte 2-Locker 1 !