17 août 2015. 6h49. Un séisme de magnitude 4 secoue la baie de San Francisco. Une information reprise par plusieurs médias qui précisent qu’il n’y a pas de dégâts majeurs et qui en profitent pour évoquer le fameux « Big One », un tremblement de terre ravageur qui, selon les scientifiques, frapperait la Californie dans les prochaines années…

En temps normal, j’aurais réagi à cette nouvelle en me demandant « tiens, mais ça fait quoi de ressentir la terre grogner ? » Et puis dans la minute, je serais passée à autre chose. Seulement voilà, le 17 août 2015, j’habite à Berkeley, en pleine Baie de San Francisco. Je fête même l’anniversaire de mon arrivée, un mois plus tôt. Je dors confortablement quand une puissante secousse vient rompre cette tranquillité et que de sérieux tremblements animent les tables de nuit. Il est 6h49 et quelques secondes. Je suis littéralement expulsée des bras de Morphée. J’ai les yeux grands ouverts sans être capable du moindre mouvement. Je réalise très vite ce qu’il se passe mais reste figée. J’attends. Et ces secondes me paraissent longues. Je sais bien que ce n’est pas un fantôme qui s’amuse avec les meubles, ni un métro qui passe sous le lit… Je suis consciente qu’autour de moi tout tremble. Je suis en émoi.

Un trottoir mis à mal par l’activité sismique de la Baie de San Francisco, à Berkeley

 

Quand le silence reprend ses droits, à peine une minute plus tard, je saute enfin du lit et fonce dans la chambre des enfants. Ils dorment encore. Ils n’ont rien senti. Soulagée, je me recouche. J’ai comme l’esprit et le corps anesthésiés. Je suis cotonneuse. Engourdie. Comme frappée par les secousses. Etouffée par la terre. Elle a grondé et moi je suis pétrifiée. Comme une enfant à qui on a fait de grosses remontrances. Il me faut d’ailleurs un certain temps pour sortir de ma torpeur. Je vis une sensation étrange et nouvelle. Un sentiment de peur mêlé à un réel soulagement et à une pointe d’excitation. Je viens de vivre un tremblement de terre et ça, c’est fuckin’ pas banal !

Peu à peu, je reprends possession de mon corps et retrouve mes esprits. Quelques clics plus tard, je découvre un site qui répertorie chaque secousse terrestre. Celles du jour comme celles des jours précédents ou du mois précédent… Car ici, la terre est agitée au quotidien. Même si c’est insensible. Ce jour-là, l’épicentre du séisme se situe à une vingtaine de kilomètres de la maison (à Piedmont) et à 4 km de profondeur, sur la faille de Hayward. Une magnitude de 4, c’est plutôt faible mais très nettement ressentie en habitant si proche.

Drop, Cover and Hold on !

Drop, Cover and Hold On!

Je me suis alors instantanément demandée si je pourrais vivre sur une terre qui se manifeste autant… J’ai imaginé rentrer. Chez moi. En France. Me réfugier dans ma petite banlieue parisienne, loin de ces grognements. Parce que comment dormir sereinement, apprivoiser la crainte du pire et ce sentiment fou qui t’attrape lors des secousses ? Il m’a fallu quelques jours pour m’interroger et interroger l’environnement. Décrypter. Comprendre. Et puis la réponse a émergé peu à peu. Oui, je peux vivre sur cette terre ronronnante. Biensûr, je peux apprendre à dompter ma peur. Ici, quasiment personne n’a d’ailleurs fait l’écho de ce séisme. Les californiens sont habitués. Préparés. Ils vivent avec cette terre. Ils l’aiment. L’acceptent. La respectent. Leurs villes s’unissent à une nature dominante. Pour le meilleur et pour le pire… Et ça, je trouve ça intense de le ressentir. On cohabite mais ça reste son empire. Son œuvre.  J’avais tendance à l’oublier dans mon environnement citadin. Ce tremblement de terre m’a remise à ma place…

Alors, j’ai fait comme tout le monde ici. J’ai préparé un kit de survie (eau, lampe torche, conserves, barres de céréales, argent liquide et radio), j’ai découvert les attitudes principales à adopter (se protéger la tête, loin des fenêtres, sous un oreiller ou une couette etc.) et peu à peu, j’ai intégré l’idée. En fait, ce baptême de terre m’a permis de me poser la question : as tu envie de vivre ici, oui ou non ? Veux tu épouser cette nouvelle terre d’accueil, oui ou non ? Acceptes tu de découvrir une nature aussi époustouflante que très active et de ressentir la croûte terrestre sous tes pas ?

Oui, je le veux ! Et c’est un mariage mûri et ému.

Le 17 août 2015. 6h49. Un tremblement de terre marque le début d’une nouvelle union, le cœur battant et déjà en partie conquis. Vibrant.