Mouvant et émouvant, élastique et romantique, cotonneux et mystérieux, le brouillard qui envahit San Francisco n’est pas une légende. Et les vagues blanches qui déferlent dans certains quartiers de la City by the Bay me fascinent. Je peux ainsi rester de longues minutes à regarder les déplacements tantôt langoureux tantôt fulgurants de ces nappes de coton qui dévalent les collines, s’accrochent aux toits des maisons, inondent les rues, enveloppent les arbres et découpent l’horizon. Un San-Franciscain m’avait dit un jour : « quand je pars plus d’une semaine, le brouillard me manque».  J’avais pensé : « mais quelle étrange idée… Comment une brume plus ou moins épaisse, cachant le soleil, faisant chuter les températures et apportant sa grisaille sur les couleurs flamboyantes de la ville peut-elle séduire ? ». J’étais loin d’imaginer que ce flot nuageux s’apprivoise et s’insinue dans les cœurs.

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Ici, personne ne se montre en effet indifférent au brouillard et il y a peu de demi-mesure à son égard. Il y a ceux qui le détestent. Avec force et virulence. Et on peut comprendre que payer des sommes astronomiques pour vivre en plein nuage, ce qui, dans certains quartiers de San Francisco l’été est une réalité, ne plaît pas toujours… Les touristes avides de chaleur californienne sont aussi déçus de s’emmitoufler dans leurs doudounes en plein été pour observer une partie tronquée des piliers du majestueux Golden Gate caché sous une épaisse barbe blanche. Ce n’est pas Noël en juillet-août alors se sentir perdus dans une brume neigeuse ne plaît pas non plus ! Puis, il y a ceux qui l’aiment. Avec douceur ou véhémence. Ceux qui le chassent, le captent, le respirent, l’embrassent, l’admirent et l’observent. Je fais aujourd’hui partie de ceux là. J’ai appris à vivre avec cette cape blanche qui s’enfile et se défait au gré des vents et des heures de la journée. Le brouillard est pour moi un artiste talentueux , un architecte fou qui redessine les lignes des paysages, transforme la ville et façonne un univers éphémère à chaque fois qu’il s’exprime. C’est un sculpteur d’œuvres uniques. Un peintre de tableaux fantastiques. Les mouvements perpétuels de ses toiles s’animent dans des nuances de dégradés gris et blanc et vous capturent. Si à l’antiquité, le brouillard était perçu comme stérile car ne produisant pas de pluie, moi, je le trouve créatif.

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Un(e) inconnu(e) a même personnifié le phénomène en ouvrant un compte Twitter au nom de Karl the Fog (Karl, le brouillard), qui ont été suivis par un compte Instagram et une page Facebook. L’idée : que le brouillard puisse communiquer et notamment se défendre face aux critiques si nombreuses à son encontre ! Le nom Karl serait inspiré d’un géant incompris du film Big Fish, réalisé par Tim Burton (2003). Ce petit nom a fait le buzz et s’est répandu comme un alizé ici comme ailleurs. Aujourd’hui, il est même commun d’entendre parler de Karl comme d’un bon pote ou d’un mauvais bougre : Karl s’est invité à une séance de ciné en plein air dans un parc de la ville, il a gâché un concert ou bien illuminé une randonnée… Karl, s’épanouit bien ici. Il fait partie intégrante de la vie et du quotidien de la ville. San Francisco porte donc à merveille son petit surnom de « fog city ». Vivre ici, c’est aussi s’immerger dans des remous nuageux et se laisser attraper de temps à autres par un tourbillon glouton qui vous grignote de froid et floute ce qui vous entoure. C’est laisser place à un roi imprévisible qui s’amuse dans son royaume et joue avec les reflets de lumière, créant parfois des scènes qu’il sublime.

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Le spectacle offert par Karl est à son comble entre mai et septembre. Vous entendrez d’ailleurs de très sérieux « winter is coming » dès la fin du printemps car une brume insolente s’invite plusieurs fois par jour, engloutissant parfois même toute la baie. C’est la rencontre entre les températures élevées des terres californiennes et les températures froides de l’Océan Pacifique (dues à un courant venu d’Alaska), qui provoque ce brouillard. Ajouter à cela des vents maritimes et vous obtenez un air qui se rafraîchit et s’emplit d’humidité pour former près du sol un manteau blanc plus ou moins dense ! Voilà pourquoi certains ont ici le sentiment de vivre les quatre saisons en une seule journée. À vous de choisir si vous préférez découvrir un San Francisco éclatant sous un plein soleil ou brouillé sous des amas vaporeux. Les deux ont leur charme. Et pour ceux qui préfèrent la première option mais qui souhaitent tout de même goûter un peu à l’expérience du brouillard, découvrez cette vidéo, un show sensible et doux. Karl, ta poésie me fait succomber !